Comment travailler efficacement son instrument?

J’ai une grande révélation à vous faire aujourd’hui.

Travailler votre violon ne sert à rien !

Non, je n’ai pas perdu la tête. Je devrais juste préciser ma phrase : Travailler sans méthodologie son violon ne sert à rien. Que ce soit en violon ou dans n’importe quelle activité, il y a un effet étrange, que j’ai appelé le syndrome du rêveur. Le syndrome du rêveur c’est quoi ? C’est à cause de lui que l’on se focalise plus sur le résultat final que sur le chemin pour y arriver. On rêve de devenir un joueur de violon hors pair et on pense que ça va venir tout seul, avec ”l’expérience”. C’est une belle utopie ! Ce n’est pas parce que vous faites du violon depuis 15 ans que vous jouez bien. C’est beaucoup trop facile de se reposer sur le temps qui s’écoule en notre faveur.

Prenons mon cas. J’ai énormément travaillé jusqu’à mes 20 ans. Ensuite, je me suis cassé la main gauche (pas pratique pour le violon). Depuis 10 ans, je ne travaille donc plus avec la même intensité. Je ne peux pas prétendre avoir beaucoup progressé. Trop facile de dire que je fais du violon depuis 25 ans.

Bref, vous avez compris ! Il ne faut pas le cacher, le violon (ou n’importe quel autre instrument) demande du travail. Beaucoup de travail ! Mais du VRAI travail. Pas simplement des heures à jouer. Sans plus attendre, je vous propose une méthode en 10 étapes pour travailler tous vos morceaux de violon (ça fonctionne aussi pour les autres instruments).

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Étape 1 : Jouer le morceau en entier 1 fois

Oui la méthode commence à la dur. Je vous propose de jouer directement le morceau une fois, en ENTIER.

Vous allez me dire que c’est difficile. Oui. Et alors ?

L’objectif est d’apprivoiser le morceau. D’avoir une idée globale des difficultés qu’il va falloir travailler. Ça permet aussi de comprendre la logique du morceau. Quels éléments se répètent, à quels moments, quelle est la structure générale du morceau, quels sont les passages doux, vifs… Bref, ne me faite pas confiance, essayez.

Attention, trop de débutants utilisent cette étape comme une méthode de travail. NON ! Enchainer plusieurs fois son morceau en entier, ne sert à rien. Ça prend plus de temps et le résultat est moins bon au final. Pour résumer cette étape, quelques consignes :

  • Il ne faut jouer qu’une seule et unique fois le morceau
  • Jouer très lentement pour bien avoir le temps de déchiffrer
  • Mettre de côté les détails : le rythme peut rester approximatif, les nuances ne sont pas indispensables pour le moment…
  • Essayez autant que possible de jouer les bonnes notes mais ne revenez pas trop en arrière

Il nous reste à entrer dans le vif du sujet avec la 2ème étape.

 

Étape 2 : Découper le morceau en grandes parties

Avant même de commencer à travailler votre morceau, il faut absolument structurer votre travail. Ce travail ne prend que 5 minutes, alors faites-le.

L’idée est de découper le morceau par ”phrase musicale”. De grandes parties de 6, 8, 12, peut être 16 mesures ou plus. Il n’y a pas vraiment de règles, tout dépend du morceau.

L’objectif est d’avoir des parties dont ”l’univers est différent”. Je sens que je vous perds un peu, donc voici un exemple qu’on analyse juste après :

Extrait-partition

Peu importe le niveau que vous avez, le principe reste le même. Ici, on a de la chance, le morceau (Sonate n°6 de Bach pour violon seul), ils ont mis des lettres comme repère.

Donc les grandes parties sont :

  • Du début jusqu’à A : Les mesures sont dans le même ”style”. C’est un enchainement de doubles legato ou spiccato.
  • De A jusqu’à B : Nous avons là un autre style. Au passage, c’est une partie assez compliquée techniquement.
  • De B jusqu’à C (que l’on ne voit pas ici) : On retrouve un nouveau style.

Bref, j’ai pris volontairement une partition compliqué mais ça fonctionne aussi pour une partition facile. Par exemple, Au clair de la lune. On peut mettre le couplet comme une grande partie et le refrain comme une autre.

Vous voyez le principe ? Le découpage doit être simplement logique musicalement.

 

Étape 3 : Découper le morceau en sous-parties

Encore une petite étape (5 minutes aussi) pour partir sur de bonnes bases de travail. L’idée est de découper les parties précédentes (étape 2) en sous-parties. La seule règle que je vous demande de respecter, c’est d’avoir des sous-parties suffisamment petites pour qu’elles soient mémorisable. Qu’est-ce que j’entends par là ? En fait, si vous choisissez une sous-partie de 2 mesures par exemple, il faut être capable de se souvenir de toutes les erreurs que l’on a fait en les jouant.

Pour le découpage, encore une fois, c’est assez logique. Entre les phrases musicales du morceau et votre niveau technique, vous devriez y arriver. N’essayez pas d’avoir un nombre de mesure identique, ce n’est pas obligatoire. Vous pouvez très bien avoir une sous-partie de 2 mesures, puis une autre de 4 mesures et après une de 1 mesure. De manière général : passages facile, on peut monter à 4 mesures. Passages très difficile, pas plus d’une mesure.

Faites comme vous le sentez mais faites-le !

Pour reprendre l’extrait de partition précédent, pour la partie du début à la lettre A je découperai tout par 2 (parce que le morceau s’y prête bien). Pour la partie suivantes (de A à B), je ferai :

  • les 4 premières qui sont assez ”simples”
  • Puis 1 par une (car un peu compliqué au niveau de l’archet.

Vous voyez le principe ? Ok, c’est à vous alors !

 

Étape 4 : Déchiffrer une sous-partie

Ça y est, on arrive dans la partie intéressante ! Nous allons commencer à travailler sérieusement notre morceau.

Toutes les bases sont là, il n’y a plus qu’à.

Pour cette étape, on y va encore doucement (chaque chose en son temps). Je vous propose de vous focaliser sur 3 choses :

  • Lire les notes (si vous n’êtes pas trop à l’aise avec la lecture, essayez de bien les mémoriser)
  • Mettre les doigtés sur les notes où vous avez besoin d’une aide-mémoire
  • Indiquer les coups d’archet si besoin pour ne pas vous perdre

Vous avez tout ce qu’il faut pour déchiffrer la sous-partie. N’hésitez pas à la faire plusieurs fois, très lentement, jusqu’à ce vous compreniez bien les mécanismes, enchainements doigts/archets. L’objectif de cette étape est de DÉGROSSIR le travail. De comprendre comment la petite sous-partie s’enchaine. Constater les difficultés à travailler. Pour la suite, direction l’étape 5.

 

Étape 5 : Répéter autant de fois que nécessaire une sous-partie

Voilà, on arrive à une étape trop souvent négligée des débutants. Répéter ne sert à rien lorsque c’est mal fait (par exemple, si on enchaine tout le morceau plusieurs fois). Mais dans les conditions de cette méthode, c’est très utile. Et même indispensable ! L’objectif de cette étape est de pouvoir enchainer facilement la sous-partie. Vous devez donc faire attention :

  • Aux rythmes
  • Aux doigtés
  • À l’archet

N’hésitez pas à découper encore en petit morceaux la sous-partie. Pour travailler l’enchainement de 2 notes par exemple, puis 3, 4… Là, tout est une question d’imagination et de patience. Quand je dis qu’il faut répéter de nombreuses fois, je ne plaisante pas. Sur les passages compliqués, ne vous étonnez pas s’il faut répéter 100, 200 ou 300 fois. C’est NORMAL !.

Attention, à l’étape suivante, ça se corse.

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Étape 6 : Travailler AVEC le métronome

Je ne vous l’ai pas dit, mais durant l’étape 5, on n’utilise PAS le métronome. Il y a déjà bien assez de choses sur lesquelles il faut se concentrer. Inutile de se complexifier la vie pour rien. Par contre… maintenant, on va se concentrer sur lui. Le métronome a 2 sérieux avantages pour votre travail :

  • Il vous permet d’être bien en rythme (ça ne fait pas de mal !)
  • Il vous permet de travailler progressivement en augmentant petit à petit le tempo

Sur les passages lents et/ou simples, cette étape peut être rapide. Cependant, ne la négligez pas. Consacrez-y quand même un peu de votre temps. Pour les passages rapides et/ou compliqués, c’est une étape longue mais indispensable.Voici comment je procède :

  • Je règle le métronome sur un tempo simple, entre 50 et 70 bpm (c’est une vitesse ”naturelle” chez l’être humain car ça correspond à notre rythme cardiaque. Il est donc assez facile de ressentir ce tempo sans difficulté. Contrairement à un tempo rapide qu’on a du mal à suivre et qui nous stress. Ou un tempo très lent qu’on n’arrive pas à anticiper.
  • Soit vous pouvez directement jouer à la noire (dans le cas où votre morceau se joue à la noire), soit vous pouvez diminuer par 2 la vitesse en prenant un rythme à la croche. Pour faire clair, si vous n’arrivez pas à suivre le morceau malgré le temps lent, faites le 2 fois plus lent. Mais au lieu de changer la vitesse du métronome, changez simplement la ”référence”. Exemple, si vous jouez des noires à chaque battement, jouez maintenant des noires tous les 2 battements. De cette manière, le métronome bat à la même vitesse mais vous, vous jouez 2 fois plus lentement.
  • Ensuite augmentez petit à petit (de 4 en 4) le métronome. Jusqu’à arriver à la vitesse voulue. Petit conseil au passage, je vous suggère d’aller légèrement au-dessus de tempo souhaité pour avoir de la marge de manoeuvre.

Désolé si cette partie est un peu compliqué. L’idée est vraiment de se servir du métronome comme une béquille pour travailler PROGRESSIVEMENT. Le tout en prenant un tempo facile au début. Pour le nombre de répétition, ne comptez pas ! Vous allez vous faire peur. Il peut m’arriver de travailler 2 heures de suite 4 mesures et de devoir refaire la même chose le lendemain. Il y a des passages compliqués, peu importe son niveau. Il faut beaucoup de persévérance. La clé de la réussite technique d’un morceau se situe vraiment dans cette partie (et la précédente).

Soyez donc exigeant avec vous même. S’il faut répéter une partie 1000 fois, faites-le. Vous en serez fier après.

J’ai une dernière mauvaise nouvelle pour conclure cette partie ! Malgré les heures de travail acharné un jour J, le lendemain, il va falloir recommencer. Notre cerveau et perfide. Il enregistre bien sur le moment et il oublie après. Mais rassurez-vous, il n’oublie pas complètement (heureusement !). Le lendemain, vous mettrez moins de temps à retrouver vos marques. Le sur-lendemain encore moins de temps, etc… jusqu’à bien connaitre le passage.

Petit conseil de mon expérience pour accélérer l’enregistrement technique :

  • Au tout début, essayez de travailler 2 ou 3 fois dans la journée le passage qui pose problème (juste lui, je ne vous demande pas de faire 3 séances d’1h).
  • N’en faite pas trop à la fois si vous n’avez pas les moyens d’investir trop de temps. Il vaut mieux se concentrer sur 4 mesures et les faire bien que de faire 16 mesures et de ne pas avoir le temps de les répéter assez chaque jour.

Allez, en route vers l’étape suivante, la 7.

 

Étape 7 : Recommencer les 4-5-6 autant de fois que nécessaire pour terminer le morceau

Oui, jusqu’ici, on s’est concentré sur une sous-partie. Donc juste quelques mesures. Si ces mesures étaient simple, vous avez pu faire ça en 10 min, une demi-heure. Si ces mesures étaient très compliqués, il vous a fallu peut être 3 ou 4 heures voir plus. Mais l’idée, c’est de faire ça pour tout le morceau. Pour toutes les sous-parties. Prenez le temps qu’il faut pour apprendre tous les passage de votre morceau.

C’est rapide à expliquer mais plus long à faire. Je vous laisse travailler et on se retrouve dans l’étape 8.

 

Étape 8 : Enchainer tout le morceau

Ça y est, on y arrive. C’est en général la partie préférée des débutants mais qui va souvent avec la frustration de ne pas bien jouer son morceau (à cause des parties précédentes qui ont été oubliées). Là, la règle est simple. Il faut enchainer tout le morceau. Il faut réussir à enchainer chaque sous-partie les unes aux autres. Jouer chaque passage c’est bien, mais les enchainer c’est mieux. Et ce n’est pas toujours facile. Ça demande donc de l’entrainement.

N’hésitez pas à tout enchainer, plusieurs fois. Et à chaque passage, corrigez le précédent. Étape plus ou moins longue suivant la longueur et la difficulté du morceau mais souvent agréable à faire.

L’étape suivant s’enchaine d’ailleurs assez naturellement.

 

Étape 9 : Rajouter les nuances

Peut-être que vous avez naturellement fait cette étape. Que ce soit le cas ou non, consacrez un peu de temps aux nuances. Essayez de trouver le meilleur son possible pour chaque parties.  Soit la partition vous a tout marquée et vous pouvez la suivre, soit il faut trouver vous même vos préférences de nuances. Quand vous êtes bon sur les nuances de votre morceau, on peut terminer en toute logique avec la dernière et 10ème étape.

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Étape 10 : Se faire plaisir avec la musique

Enfin, on y arrive. Vous connaissez le morceau techniquement. Vous avez les notes, le rythmes, les enchainements et même les nuances ! Il ne vous reste plus qu’à vous faire plaisir en le jouant. Je vous invite fortement à y mettre toutes vos émotions. Oubliez le côté technique qui est maintenant acquît. Concentrez-vous sur la musicalité. Cherchez à avoir de beaux phrasés. Libérez-vous, interprétez le morceau comme si vous vouliez faire profiter les gens de la beauté du morceau.

 

J’en ai fini avec cette méthode redoutablement efficace (pour débutants ou experts). Juste encore quelques mots pour conclure.

Je vous ai un peu menti. Il ne s’agit pas d’une méthode rigide. Il ne faut pas l’utiliser comme un robot. Vous pouvez tout à fait être rendu à l’étape 9 sur une partie du morceau et à l’étape 4 sur une autre. Il faut aussi faire en fonction de son ressenti et du morceau en lui-même. Par contre, le principe reste important. En résumé, pensez à :

  • Découper votre morceau pour travailler plus efficacement
  • Répéter de nombreuses fois pour bien mémoriser
  • Travailler progressivement grâce au métronome
  • Oublier ensuite la technique pour se faire plaisir avec la musique

Pour votre information, passez les quelques premières années d’apprentissage, il faut compter environ 6 semaines (avec une bonne moyenne de travail journalière) pour travailler un morceau de son niveau correctement, en entier, en suivant les 10 étapes. Donc ne soyez pas surpris si c’est long, c’est normal.

Amusez-vous bien 🙂

3 commentaires sur “Comment travailler efficacement son instrument?”

  1. Un point important quand on travaille une partie ou sous-partie c’est de toujours y inclure les 1ères notes de la partie ou sous-partie suivante.

    Ainsi les enchaînements seront grandement facilités et le tempo plus fluide au moment de la mise en place du morceau entier.

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